Elles ne se tairont plus ? Elles se sont tues et elles se tairont…

 

 

 

 

Elles veulent la fin de la correctionnalisation « des viols ». Combien étaient-elles à avoir voté la loi Perben II du 9 mars 2004 qui a consacré la correctionnalisation « DU » viol. C’est un crime ! Il y’en a un qu’un. C’est LE CRIME de viol qui est correctionnalisé. Roselyne Bachelot faisait partie du gouvernement qui a consacré la correctionnalisation. Valérie Pécresse était députée, Dominique Voynet était sénatrice. Et toutes les autres à quel moment ont-elles dénoncé la correctionnalisation du viol ? Combien ont voté contre l’allongement des délais de prescription ?

 Il faudrait leur dire BRAVO, alors qu’elles sont pour certaines parmi celles qui ont laissé faire la plus grande régression dans le traitement du viol, celles qui ont mis à mal le combat des féministes qui se sont battues pour avoir une définition du viol ?!  Elles étaient au pouvoir et pour ne pas perdre leur pouvoir elles se sont tues. Elles n’ont pas seulement laissé faire. Elles ont participé pour certaines à ce que le viol aujourd’hui ne soit qu’exceptionnellement un crime. Car, en effet, si le viol est un crime dans le code pénal, il ne l’est que très rarement dans les prétoires.

 

En 2012, Najat Vallad Belkacem troublée après avoir visité les locaux du CFCV et avoir entendu les témoignages des victimes de viol annonce à la radio

« « Il faut faire en sorte que les viols en justice ne soient pas considérés comme des délits mais comme des crimes qu’ils sont. Or, trop souvent ils sont correctionnalisés. »

A ma connaissance, c’est la première fois qu’un-e ministre en exercice dénonçait la correctionnalisation. Quelques mois plus tard, voici la réponse sidérante de son cabinet à mon courrier

« En pratique, il arrive que pour des motifs d’opportunité, avec l’accord préalable de la partie civile dument recueilli par lettre ou par déclaration mentionnée au procès-verbal d’audition, le juge d’instruction disqualifie les faits de viol en agression sexuelle aggravée, non pas dans le but d’avantager au détriment de la victime, mais dans le but de le renvoyer plus rapidement devant le tribunal correctionnel composé de magistrats professionnels. La jurisprudence abonde en condamnations prononcées par des tribunaux sous la qualification d’agression sexuelle aggravée dans des affaires où le risque d’acquittement par la Cour d’assises était trop important pour le faire courir à la victime. La disqualficiation n’a pas pour but de nuire aux intérêts des victimes comme vous l’écrivez. Elle est quelquefois proposée par le Conseil de la victime qui fait le choix délibéré de la défendre avec de meilleures chances de succès devant le tribunal plutôt que devant la Cour d’Assises »

Girouette, pirouette ! Elle m’a servi la soupe de ses maitres ! S’en était fini de la fin de la correctionnalisation. Najat Vallaud Belkacem, muselée définitivement.

A noter que je n’ai jamais dit que la correctionnalisation avait pour but de nuire aux victimes mais que la correctionnalisation a pour conséquence de nuire aux victimes mais aussi aux futurs victimes de viol. Comment un violeur ou futur violeur peut prendre conscience de la gravité du viol, quand la justice, la société, lui signifie que le viol ce n’est pas plus grave qu’un petit délit dont la sanction est dans la majorité des cas quelques mois de sursis.

Elles veulent mettre fin à la correctionnalisation. Comment ? Comment comptent-elles s’y prendre alors que la cour d’assises actuelle ne peut pas juger plus de crimes (50% sont des viols) qu’elle n’en juge déjà. C’est même pour cette raison que la très grande majorité des viols sont disqualifiés en délits et jugés par les tribunaux correctionnels. Comment comptent-elles s’y prendre quand l’instruction est devenue l’exception ? Comment mettre fin à la correctionnalisation quand le parquet censé appliquer la loi, la viole en renvoyant des crimes devant le tribunal correctionnel alors que l’instruction est obligatoire en matière criminelle ?

 

Leur appel a eu le mérite pour le grand public de découvrir un nouveau mot : la correctionnalisation 

Croyez-vous que l’autre pouvoir, le médiatique expliquera ce terme ? Les médias en parleront quand de la correctionnalisation ? Qu’attendent-ils pour faire leur travail d’information.  le présentateur télé qui répète comme un perroquet « la fin de la correctionnalisation » sait-il au moins de quoi il est question ?  Comment peuvent-ils se taire sur une pratique qui renvoie 80% des viols devant le juge correctionnel comme s’il s’agissait d’un vol à l’étalage ? A noter que ce jeune homme qui vient d’être condamné à deux mois de prison ferme pour avoir volé des pates et du riz car il avait faim a été condamné plus sévèrement que certains « violeurs correctionnalisés ».

 

Elles se sont tues alors qu’elles étaient ministres, elles se tairont encore si elles étaient de nouveau ministres. Ainsi va le pouvoir… Gageons que les médias se tairont dès la fin du buzz et continuerons à traiter les viols de faits divers comme ils l’ont toujours fait.

 

 

Une soirée qui tourne bizarrement

Le Courrier de Diké

Saisir les maillets et les marteaux. Marcher en silence. Serrer les dents. Converger vers la Cour. Faire sauter les verrous. Enfoncer les portes. Grimper les marches. Lever les poings. Crier.

Le temps s’arrête. Une seconde de répit.

Puis le mouvement reprend. Le cri de rage devient un cri de ralliement. Raz de marée humain. Une déferlante de femmes unies par la colère.

Les maillets s’activent. Détruire les murs, brique après brique. Brûler les livres, page après page. Déchirer ces lois inutiles et hypocrites, ce code négligé ou négligeant, ces procédures sidérantes et orwelliennes.
Disloquer les bancs du prétoire.

Démanteler ce simulacre de tribunal qui bafoue la justice. Qui maquille les crimes en simples délits. Qui relaxe les violeurs, et achève les survivantes.

Et se réveiller.

En guise de tsunami féministe, il n’y a que quelques larmes de rage impuissante sur ma joue.

RIP. Rape In Peace. Violez en paix.

Et…

Voir l’article original 650 mots de plus

ECHEC A UNE TENTATIVE DE CORRECTIONNALISATION PAR LE PARQUET

Article rédigé à quatre mains par Francesca ( témoignage) et AzhourSchmitt ( informations juridiques)

La justice m’a (presque) tuer

Septembre 2013.

Demain c’est mercredi, je ne travaille pas. Il fait encore chaud en ce début d’automne, les terrasses sont accueillantes ,j’accepte donc volontiers ce soir là de sortir avec une amie.
Après le restaurant, nous allons boire un verre dans un bar, le seul ouvert dans cette petite bourgade de Seine et Marne. Par hasard s’y trouvent aussi quelques connaissances, un certain T. chez qui nous étions allés finir une soirée avec des amis quelques mois auparavant.
La conversation s’engage, il nous paie un verre pour fêter l’échographie du bébé qu’il va avoir avec sa jeune compagne qui ce soir là dort chez ses parents. On parle de cet enfant à venir, moi beaucoup (un bébé, ça m’émeut), lui moins. Nous trinquons tous ensemble, la soirée se poursuit dehors.
Les étoiles, seuls témoins

Mais il se fait tard, j’ai trop bu, il est temps de rentrer chez moi. T. propose de me raccompagner , nous habitons à trois rues l’un de l’autre.
Chemin faisant, sous les étoiles qui, tout comme lui, resteront désespérément sourdes à mes cris , il me viole.
2 pénétrations ( 3 en fait mais les doigts ça ne compte pas vraiment, ce ne sera pas retenu par le procureur), main sur la bouche quand je hurle en appelant à l’aide. « Allez viens,laisse toi faire « me dira t-il. Je ne peux pas, mon corps refuse malgré la peur.. Je me débats mais ça continue.
Impuissance. Sidération. Pas de doute, c’est à moi que ça arrive …Pourtant je vois la scène comme dans un film, comme si j’étais une autre.

Puis tout s’arrête.

Je suis choquée, il m’aide à me rhabiller, me donne la main pour me relever.
Cette main tendue, en plus du reste, comme si de rien n’était. Atroce.
Je déconnecte à nouveau.
Je pense à ce moment à mon nouveau pantalon sans doute devenu irrécupérable à cause des taches d’herbe, il faudra en acheter un autre. Je regarde les étoiles qui continuent à briller malgré l’horreur .
J’ai froid, si ça se trouve demain j’aurai le rhume…

Il me raccompagne pendu à mon bras en s’excusant (« j ai fait une grosse connerie ». Certes.) J’ai peur, le contact de ses mains sur mon bras m’est insupportable, mais je reste docile pour que ça ne recommence pas. Je n’ose pas courir, si je suis sage il me laissera tranquille.
Une seule pensée m’obsède: il faut que je réussisse à m’échapper de ses griffes, il ne doit pas savoir où j’habite, surtout pas.
On approche de ma maison, je reconnais les rues, je le repousse en douceur, on se sépare.
Lui ai-je fait la bise?

J’arrive enfin chez moi, Dieu merci il ne m’a pas suivie
Je rentre, la porte est bien fermée à triple tours. Aucun bruit bruit dehors.
Je m’écroule sur mon lit : il faut oublier cette nuit de cauchemar.
Demain, ça ira mieux .
Je sombre dans le sommeil.

Le lendemain ça ne va pas mieux: dès que j’ouvre les yeux, je me reprends tout en pleine gueule; je revis chaque moment en détails. Angoisse, détresse. Je n’arrive même pas à pleurer.
Quelques heures plus tard je me présente au commissariat pour porter plainte.

 

Ce n’est un pas vol de bicyclette , monsieur le brigadier

Dans le hall du commissariat, le brigadier qui m’accueille me demandera entre deux portes si j’ai bien conscience de la gravité des accusations que je porte.
« Un viol, madame, c’est les Assises et 15 ans de prison, on ne porte pas une telle accusation à la légère ».
Certes, et je suis bien placée pour le savoir. La légèreté, c’est très loin pour moi.
Troublée par cette entrée en matière,j e lui explique que je viens juste raconter ce qui s’est passé, et que les faits correspondent à la définition du viol (contrainte; pénétration).
Moi je suis venue porter plainte. A chacun son rôle. Ce n’est pas à la victime de penser aux conséquences éventuelles pour le bourreau. Ce n’est pas à la victime de qualifier juridiquement les faits. On n’en est pas encore là. Ca viendra pourtant très vite, je vais m’en apercevoir à mes dépens.

En tous cas ce n’était pas un vol de bicyclette, ça je peux le garantir.

Il ne semble pas apprécier mon « humour » ( une victime ça n’a plus d’humour normalement) mais recevra ma plainte en bonne et due forme. Pas de questions déplacées ou soupçonneuses,attitude bienveillante et professionnelle.
On m’oriente ensuite vers le service médico-judiciaire pour l’examen médical. La gynécologue qui me reçoit est une belle femme, élégante, propre sur elle. Pas le genre de femmes à qui ça arriverait, pensai-je immédiatement. Elle, elle est de l’autre côté de la vitre.
Je me trompe: le viol c’est pour toutes…
Un violeur pas contrariant : les aveux

Le violeur est mis en garde à vue le lendemain. Il déclare « avoir eu un petit moment d’excitation », « avoir profité de l’état de faiblesse de F.pour la pénétrer à deux reprises avec le sexe et lui avoir mis la main sur la bouche quand elle a commencé à crier et à appelerl’aide » après « avoir pris conscience que le voisinage pouvait être alerté »(extrait des PV d’audition).

Bref, il reconnaît le viol.

Son petit moment d’excitation à lui reste pour moi un long moment d’horreur, mais au moins les choses sont claires, juridiquement en tous cas. Je vacille sur mes bases mais le droit me protège: viol=crime=cour d’Assises, c’est la loi qui le dit.
Sauf que….
Le parquet est gentil… avec le violeur
Le lendemain la police m’appelle pour m’annoncer que le procureur a déqualifié les faits en agression sexuelle, et qu’une audience aura lieu fin octobre. Au tribunal correctionnel.
Le chef d’accusation qui figure sur la convocation du violeur est édifiant : » atteinte sexuelle avec contrainte suer la personne de F., en l’espèce avoir effectué avec son sexe deux pénétrations vaginales non consenties ».
En clair, le procureur reconnait noir sur blanc les deux éléments dont la présence suffit à qualifier une agression en viol.

Pourtant il renvoie en correctionnelle, qui juge les délits.

Révolte

Stupeur. Etonnement. Colère. Je ne comprends pas: les faits de viol sont établis, reconnus par l’auteur. Il n’y a aucune ambiguïté . C’est insupportable.
On m’explique alors très gentiment que c’est mieux pour moi, que ça ira plus vite, et surtout qu’un tribunal de professionnels sera plus sévère alors qu’un jury populaire risque d’ acquitter, car  » ce soir là, madame, vous aviez bu ».
Un des psychiatres que je verrai par la suite me le dira plus clairement.
Après m’avoir demandé d’exposer les faits très brièvement en 5 minutes, une de ses premières questions sera : «Mais madame, que faisiez vous à 40 ans à 2 heures du matin dehors à boire sur un banc avec ces gens? ».Il a cependant le bon goût de ne pas me demander comment j’étais habillée.
Je tique, il me semblait que boire dehors n’était pas un délit, ni même une infraction,pas une perversion non plus, au pire une mauvaise idée . Alors que le viol, lui, est un crime.
Je ne m’attendais pas à cela venant de lui, comme une conne j’essaie de me justifier en bafouillant. Dans ma tête j’essaie encore, le premier de mes juges a le visage de ce médecin.
Quelque chose me dit que je n’en ai pas fini avec cette gentille petite phrase assassine. Ni avec les psys d’ailleurs. Heureusement pour moi, celle qui me suit maintenant ne pense pas que la victime est d’abord une fautive, ces préjugés là elle les laisse à la porte du cabinet.

Aucun des arguments qu’on m’opposera pour me persuader de devenir complice de ma propre négation ne résiste à l’épreuve des faits. Mais là aussi, on préfère les victimes quand elles sont consentantes et dociles, ça arrange tout le monde.
On veut me convaincre que je n’ai pas vécu ce que j’ai pourtant vécu. Et c’est le procureur, qui représente la loi pourtant, qui le dit.
Je retourne ça dans tous les sens: je n’arrive pas à me résigner.

On me passe dessus une nouvelle fois.

C’est hors de question, tout simplement. Je me battrai pour que mon « non » soit entendu. Encore.

Cette pratique, courante, a un nom: c’est une correctionnalisation .
Un mensonge institutionnel (Azhour Schmitt)
Elle consiste pour le viol à omettre l’élément de la définition sans lequel il n’y a pas de crime. La seule différence juridiquement parlant entre le délit agression sexuelle et le viol c’est l’absence d’acte de pénétration dans le délit . Pour quelques vols armés (crimes) qui peuvent être déqualifiés en vol simple, le viol est largement correctionnalisé. Pour une raison d’une simplicité mathématique. Les viols sont déjà pour plus de 50% les crimes jugés par les Cour d’assises, il serait tout à fait impossible en l’état actuel de l’organisation du système judiciaire de faire juger tous les viols par les Cours d’assises . Sachant, qu’il y a environ 10 000 plaintes pour viols et que les Cours d’assises peuvent juger à peine plus de 2000 crimes par an.

En 2010, des parlementaires avaient , opportunément commis une résolution très intéressante. Intéressante dans la mesure , à ma connaissance, où c’est la première fois que des élus rejettent les arguments surannés censés justifier la correctionnalisation en reconnaissant le caractère illégal et inconstitutionnel de la correctionnalisation.

Lors de son audition au sénat , pour convaincre de l’utilité des tribunaux criminels , le garde des Sceaux Michel Mercier répond aux sénateurs, qui bien a propos lui posent la question de savoir s’il est vrai qu’il y a 80% de correctionnalisation (un taux qu’apparemment le Ministre lui-même avait précédemment avancé), « « Les cours
d’assises ne jugent aujourd’hui que 2 200 crimes par an ; on ne sait
si 80 % des crimes sont correctionnalisés, car nous n’avons pas de
statistiques, mais la pratique est patente pour les viols »

Une pratique massive appliquée consciencieusement à tous les viols que les victimes soient des femmes ou des enfants .

Dans la résolution 3586, les parlementaires, pourtant du même bord politique, n’hésiteront pas à critiquer la Loi Perben.
Cette loi du 9 mars 2004 « légalise » cette pratique en ce qu’ elle limite les possibilités aux parties civiles et aux tribunaux correctionnels de faire échec à la correctionnalisation ; Désormais si dans la phase de l’instruction une partie civile est assistée d’un avocat et n’a pas fait appel de l’ordonnance de renvoi elle ne pourra plus soulever l’incompétence du tribunal correctionnel. De même que le tribunal correctionnel ne peut ni faire droit à la demande de la partie civile ni soulever d’office son incompétence comme il en avait la possibilité avant 2004. (http://www.village-justice.com/articles/correctionnalisation-negation-crime,12082.html

Le viol dont F. a été victime n’a pas fait l’objet d’une instruction (instruction pourtant obligatoire en matière criminelle). La déqualification et le renvoi devant le tribunal correctionnel a été décidé directement par le Parquet . C’est sans doute la correctionnalisation la plus courante mais qui passe totalement inaperçue . En toute discrétion car les traces sont moindres : La victime s’arrête au commissariat de police, elle ne voit ni juge, ni procureur. Il n’y a pas de réelle enquête, pas d’expertise, pas de contre interrogatoire, pas de confrontation… Vite décidé, vite plié, à peine si la victime à le temps de se tourner, pour peu qu’elle y pense, vers un avocat. Pour peu qu’elle y pense car pour la majorité de la population le procureur est du côté des victimes. Mais non, il est avant tout le représentant du système, en tant que tel son souci premier est de le faire fonctionner ,peu importent les conséquences pour les justiciables .

Dans cette affaire le procureur ne recule devant rien, il peut même se permettre d’inventer un petit délit « atteinte sexuelle avec deux pénétrations par contrainte ». Soit c’est une agression sexuelle (absence de pénétration) ,soit un viol ,donc un crime qui n’a rien à faire devant le tribunal correctionnel. Mais ça peut difficilement être les deux choses en même temps.
Il fait plaisir , croit-il, à la victime puisqu’il est bien question de pénétrations, surtout n’éveillons pas ses soupçons si elle ne sait rien de la définition du viol et de la compétence matérielle des juridictions…
Il a raison le Monsieur, le tribunal correctionnel même avant la loi Perben, a rarement soulevé d’office son incompétence. La jurisprudence montre que c’est surtout les parties civiles qui ont eu à le faire, encore faut il le savoir et le vouloir.
Lutte, découragement et … incompétence du tribunal correctionnel (Francesca)

Pour moi cette correctionnalisation est impensable: même un procureur ne peut se mettre hors la loi, j’en suis persuadée.
La justice,le droit, j’y crois. A quoi me raccrocher, si même ça , c’est remis en cause?

Je décide de lutter. C’est pour moi une question de survie . Je sens profondément que laisser passer ça c’est me condamner moi même. A perpétuité.
Or je veux vivre.
Il me faut trouver un avocat d’urgence.
Les premiers que je vais contacter me découragent: contester est impossible, me dit-on.
Si vous trouvez un avocat qui vous dit le contraire, c’est qu’il vous ment.
J’apprendrai par la suite que c’est faux. Ce sont eux qui m’ont menti.
Et ils en rajouteront sur les bienfaits de la correctionnalisation, sous couvert d’agir pour mon bien.
Je suis à bout, je doute.
C’est sur internet que je trouverai, à force d’obstination, un blog, un seul, qui dénonce cette pratique et donne des moyens pour la combattre. Ce blog va me sauver.
Oui, on peut contester,
oui, la procédure a été bafouée sur la forme,
oui on peut soulever l’incompétence du tribunal correctionnel à l’audience , qui n’aura d’autre choix que de se déclarer incompétent.

Son titre: La correctionnalisation du viol: la négation d’un crime.
C’est exactement cela. Pas plus, pas moins.

J’y trouve aussi le nom de l’ avocate, Maître Laonet, avocate au barreau de Paris, à qui je vais finalement confier mon dossier . Elle me tient un discours très différent de ses confrères et me confirme ce qui m’a été dit sur le blog .
Elle a raison: le jour de l’audience en correctionnelle venu (très vite j’en conviens, la justice sait parfois être rapide:entre le dépôt de plainte et l’audience en correctionnelle, il se sera passé un mois et demi),elle soulève avant toute étude sur le fond l’incompétence du tribunal. La procureure approuve ses conclusions: les faits reprochés sont de nature criminelle, et non délictueuse ; le tribunal correctionnel doit se pourvoir à mieux juger.

Quelques minutes et le tribunal confirme son incompétence….

Une instruction est ouverte.
Une autre épreuve va commencer, mais je suis soulagée: la loi a gagné.

 

Des victimes à perpétuité (Azhour Schmitt)
Vite , vite cachez ce viol que je ne saurai voir …
Mais cette fois ci monsieur le procureur a été bloqué… Un petit grincement dans la machine infernale, pour combien de viols qui n’en sont plus parce que travestis en délits, et dont les victimes s’aperçoivent , trop tard, qu’elles n’ont été ni entendues ni reconnues?

Le système est bien rôdé, entre :

*le procureur qui se croit autorisé à violer la loi par son pouvoir d’opportunité des poursuites,

*le tribunal qui s’arrange de cette même violation,

*le juge d’instruction qui bien souvent joue à convaincre la victime d’accepter la correctionnalisation pour son bien, parce que l’auteur trop vieux risque de mourir avant d’arriver devant la cour d’assises, parce que dans la cour d’assises tu seras laminée ma pauvre fille, parce que l’avocat de la défense va te malmener, parce que les jurés ne comprendront pas que tu portais un jupe si courte, parce que l’indemnisation sera la même que pour un viol (faux ),
parce que…

* et les avocats des parties civiles souvent complices du système… J’entends d’ici vos protestations. D’accord, pas tous les avocats, j’en suis témoin …. Alors disons une très grande partie des avocats: il n’y aurait pas tant de correctionnalisation sans la collaboration active ou au moins passive des avocats des parties civiles.

 

Entre les mains de ceux là, qui disent tous agir pour leur bien, les victimes sont des pantins , des marionnettes tirées dans tous les sens de l’injustice, pour en faire , plusieurs mois, plusieurs années plus tard. Des victimes , encore des victimes mais cette fois pas des victimes de viols. Non, des victimes de la correctionnalisation !

Il arrive un jour où une « correctionnalisée » prend conscience de s’être fait avoir… Un petit nombres de ces femmes se retrouvent sur le blog, beaucoup téléphonent aux associations de victimes … Mais que faire demandent-elles ? Rien c’est trop tard.
Rien à faire ! Il a été décidé , même pour des enfants victimes de viols incestueux, que le crime passerait à la trappe .

 Qu’en aurait il été si, effondrée, je n’avais pas eu les ressources pour réagir?
Qu’en aurait-il été si, confiante, désarmée, ignorante, j’avais suivi les recommandations de ces avocats là?
Qu’en aurait-il été si je n’étais pas tombée sur ce blog, sur cette avocate?
La réponse est simple:
il en aurait été comme il en va pour des milliers de femmes, chaque année, sous les lois de notre belle République: juste une petite mise à mort juridique de plus, après un petit viol de plus.
Francesca
Azhour Schmitt

NOTES :

Depuis Francesca a été auditionnée une nouvelle fois par la police, cette fois, dans le cadre de l’instruction ouverte pour viol et a déjà fait l’objet d’une expertise judiciaire. L’auteur des faits aussi, il a été considéré par le premier expert comme quelqu’un de dangereux, aucune prise de conscience de la gravité des faits commis.  Et, en effet, le jour de l’audience, il est arrivé tranquillement au tribunal correctionnel … En retard, l’audience était terminée…

A suivre de près !

 

 

 

La correctionnalisation du viol, la négation d’un crime

Article publié sur le village de la justice. http://www.village-justice.com/articles/correctionnalisation-negation-crime,12082.html

En France , il existe une classification tripartite des infractions pénales : les contraventions, les délits et les crimes.

Les peines encourues sont fixées en fonction de la gravité des infractions. Les crimes étant les infractions les plus graves, les peines encourues sont les plus importantes

Le viol est un crime définit par l’article 222-23 du Code pénal :« Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol… ». Il est passible de 15 ans de prison jusqu’à la réclusion criminelle à perpétuité . (Art. 222.23 ; 222-24 ; 222-25 ; 222-26)

*** En temps de guerre le viol est considéré comme un crime contre l’humanité***

L’agression sexuelle est un délit :

Article 222-27 « Les agressions sexuelles autre que le viol sont punies de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende »

Alors même que le viol, est considéré comme la plus grave des violences sexuelle, il fait bien trop souvent l’objet de correctionnalisation.

Érigé par le code pénal au rang de crime il est disqualifié, déclassé en agression sexuelle constitutive d’un délit.

La correctionnalisation, d’abord pratique judiciaire, consiste à soumettre un crime, qualifié au préalable d’agression sexuelle –délit, à un tribunal correctionnel.

A l’évidence, la correctionnalisation minimise le viol et remet en cause cette classification tripartite des infractions et par conséquent l’échelle des peines. Elle méconnaît les règles de la procédure pénale ainsi que le principe d’égalité devant la justice.

Les raisons avancées pour justifier la correctionnalisation ne sont pas très nombreuses, elles sont connues des victimes et des avocats. La raison, pratique jamais avouée aux victimes, c’est le désengorgement des Cours d’Assises(I). Pour éviter une remise en cause de la correctionnalisation le législateur a validé cette pratique par la loi du 9 mars 2004 (II)

I – LES RAISONS DE LA CORRECTIONNALISATION DU VIOL

Le viol est LE crime qui « profite » le plus souvent de la correctionnalisation. Sans doute, parce que dans l’esprit

des juges, il est un crime d’importance moindre. Les raisons données aux victimes sont toujours les mêmes (A).

En réalité, cette correctionnalisation n’a qu’une raison bien pratique : celle de désengorger les Cours d’Assises

(B)

A – LES RAISONS OFFICIELLES DE LA CORRECTIONNALISATION

1° La rapidité dans le jugement et la plus grande sévérité des juges professionnels, contrairement

aux jurés populaires soupçonnés de clémence ou au contraire de trop grande sévérité avec les

violeurs présumés.

La rapidité de traitement ne peut pas être niée, une affaire renvoyée devant le tribunal correctionnel sera

beaucoup plus vite jugée qu’un crime qui fera l’objet d’une longue instruction avant d’être jugé par la Cour

d’Assise.

Sur ce point des explications toutes récentes (Rapport du Sénateur Yves Détraigne) :

Il arrive en effet souvent que l’autorité judiciaire requalifie un viol en agression sexuelle en passant

sous silence certains des éléments constitutifs de l’infraction, ce qui permet de juger les auteurs plus

rapidement devant une juridiction correctionnelle plutôt que devant une cour d’assises. […] [1]

Le rapporteur, sénateur de son état, semble avoir oublié que le viol est un crime…

2° La sévérité des juges professionnels, l’agression sexuelle est un délit passible de 5 ans

de prison, alors que le viol (hors causes d’aggravations) est punissable de 15 ans de

réclusion criminelle. En Cour d’Assises, la peine moyenne prononcée serait de 7 ans.

Réflexion de Maître Laurent Epailly :

Les qualités respectives des uns et des autres, sont exactement inverses. Ainsi, les juges professionnels

ont pour eux d’être professionnels, donc d’avoir l’expérience de tels faits et d’avoir une jurisprudence

personnelle. L’inconvénient, c’est que la récurrence et la comparaison avec d’autres délits, qu’ils

jugent chaque semaine, font qu’ils peuvent aussi relativiser, ce qui se ressent sur la peine. L’autre

inconvénient étant qu’ils seront parfois monolithiques… Les jurés eux, sont souvent plus sévères ou pas

assez, parce que, justement, l’émotion ou la morale personnelle, compense largement le défaut

d’expérience. Cela ne les empêche pas, par ailleurs, de rendre aussi des verdicts équilibrés. [2]

Le gouvernement de François Fillon, n’avait-il pas pour projet d’introduire des jurés populaires dans les

tribunaux correctionnels parce qu’il considérait que les juges professionnels n’étaient pas assez sévères ?

Selon le rapport du sénat précité, la correctionnalisation : permet d’éviter d’exposer la victime au traumatisme

d’une audience criminelle suivie d’un acquittement

Quelle hypocrisie. Pourquoi partir du principe que cette audience criminelle serait suivie d’un acquittement ? Et,

le traumatisme de voir la gravité du traumatisme, de la victime violée, nié, amoindri, minimisé, rangé au rang de

délit qui ne mérite pas le budget nécessaire pour être traité en tant que crime. Il arrive en effet souvent que

l’autorité judiciaire requalifié un viol en agression sexuelle en passant sous silence certains des éléments

constitutifs de l’infraction.

Le rapporteur admet que la justice passe « sous silence certains des éléments constitutifs de l’infraction. »

Autrement dit les éléments constitutifs de CRIME. Il reconnaît que les viols font l’objet d’une

correctionnalisation à outrance.

En réalité, la rapidité de juger qui serait un bénéfice pour les victimes et avant tout un moyen pour désengorger

les Cour d’Assises au mépris des droits des victimes de viols.

Autre argument : les représentants de magistrats, ont souligné que cette pratique était paradoxalement souvent

profitable à la victime, notamment lorsque certains des éléments constitutifs du viol paraissent difficiles à établir

et qu’une requalification des faits en agression sexuelle permet d’éviter d’exposer la victime au traumatisme

d’une audience criminelle suivie d’un acquittement. Les magistrats (juges d’instruction) qui utilisent une facilité

(la correctionnalisation) ne vont pas admettre que la correctionnalisation est surtout une procédure qui leur

permet de gagner du temps sur les nombreux dossiers qu’ils ont à instruire. Il est vrai que les « éléments

constitutifs du viol paraissent difficiles à établir. » Mais dans combien de cas ? « Difficiles à établir » ne signifie

pas impossible. A-t-on au moins enquêté ? J’en doute et quoi qu’il en soit, ces cas dont les preuves seraient

tellement difficiles à apporter représentent-ils 50 à 70 % des viols (taux de correctionnalisation des viols) ?

Il n’est pas surprenant que la présidente du Collectif féministe contre le viol, l’association la plus représentative

des victimes de viols, s’élève contre la correctionnalisation des viols. Mais nous avons UNE Association face à

DES représentants des magistrats !

La cause est entendue, le désencombrement des Cour d’Assises peut continuer au détriment des victimes de viol.

B- LE DESENGORGEMENT DE LA COUR D’ASSISES : RAISON D’ETRE DE LA

CORRECTIONNALISATION DU VIOL

Que disent les représentants du peuple à propos de la correctionnalisation ? :

Elle répond pour l’essentiel aujourd’hui à l’objectif de décharger les cours d’assises qui, compte tenu

de la lourdeur de la formation des jurés et de la lenteur des procès, se trouvent, en particulier dans les

départements urbains, très encombrées [3].

Est-ce un hasard si le domaine dans lequel il y a le plus de correctionnalisation c’est le viol ? Comment peut-on

dire à la fois qu’il faut lutter contre les violences sexuelles et faire subir un tel traitement aux personnes qui ont

vécu la plus grave des violences ?

Certains avocats qui participent à cette mascarade, prétendent respecter la volonté des victimes qui préfèrent

éviter la Cour d’Assise :

Récemment, notre Cabinet a été confronté à plusieurs reprises à cette question : dans un premier cas,

nous avons refusé une correctionnalisation de l’affaire compte tenu de la spécificité des faits et de leur

particulière violence, dans un second cas, nous l’avons acceptée en raison de la volonté clairement

affirmée de la victime d’éviter un procès devant une Cour d’Assises [4].

Qui a soufflé à la victime que le procès en Assise serait à ce point insupportable ?

Il n’y aurait pas autant de viol correctionnalisé si de nombreux avocats n’étaient pas un appui, au juge

d’instruction, à convaincre la victime de viol d’accepter la décriminalisation de ce qu’elle a subit.

Le choix de la politique pénale n’est pas un choix individuel. Depuis quand est-ce à la plaignante de qualifier les

violences dont elle a été la victime ?

Les viols sont à l’origine de graves conséquences sur l’intégrité physique et psychique directement liées

à l’installation de troubles psychotraumatiques sévères (dont l’état de stress post traumatique) qui, s’ils

ne sont pas pris en charge spécifiquement et si les victimes ne sont pas secourues, crues et bien

accompagnées, peuvent se chroniciser et durer de nombreuses années, voire toute une vie, et avoir un

impact très lourd sur la santé des victimes. Les viols ont le triste privilège d’être avec la torture celles

qui vont avoir les conséquences psychotraumatiques les plus graves, avec un risque de développer un

état de stress post traumatique chronique très élevé, avec jusqu’à 80 % de risque de les développer alors

que lors de traumatismes en général il n’y a que 24 % de risques. Lors de viols, la mise en scène de

meurtre de l’agresseur associée à sa volonté de faire le plus souffrir la victime, de la dégrader, de

l’humilier et de porter atteinte à sa dignité, génèrent chez les victimes un sentiment de mort psychique,

elles se perçoivent comme des survivantes et même, pour certaines, comme des « mortes vivantes »

http://stopauxviolences.blogspot.com/2012/03/dernier-article-de-muriel-salmona-avec.html

Comment la victime de viol peut-elle être en mesure de faire un choix si même celui qui l’a défend lui

recommande d’accepter la « proposition » du juge. Combien de victimes se rendent vraiment compte que ce

qu’elles ont subi va être nié … Savent-elles seulement que le viol dont elles ont été les victimes sera rangé dans

la case délit :

La correctionnalisation n’en soulève pas moins des difficultés de principe. Elle déforme assez

largement les informations des casiers judiciaires » [3]

Savent-elles que leur violeur, lorsqu’il violera une seconde fois ne sera pas considéré comme « récidiviste »

parce que la première fois il n’a pas été condamné pour viol mais pour agression sexuelle. Je doute qu’une

victime de viol veuille participer à un tel mensonge ! Et si, un violeur viole une autre femme après? Et si, encore

une fois, il est jugé en correctionnel pour agression sexuelle… Et si, la victime participe malgré elle à ce que le

violeur viole une autre femme parce que la justice aura dénié son crime ?

Le magistrat soutenu parfois par l’avocat fait peur à la victime pour que celle-ci admette la correctionnalisation,

on lui demande d’accepter que son violeur ne soit qu’un délinquant et pas un criminel ! Il s’agit de faire peur

(parfois même de tromper, mais n’est-ce pas toujours une tromperie ?) à la victime pour qu’elle participe à la

négation du crime dont elle a été l’objet !

Cette correctionnalisation participe de l’ignorance et ou de l’indifférence dont la société fait preuve dès lors qu’il

s’agit de violences sexuelles. Comment peut-on admettre que les violeurs dont la loi a fait des criminels seront

dans la majorité des cas considérés comme des délinquants ? 70 000 femmes violées par an ne portent pas

plainte. Elles sont encouragées à le faire !

En quoi faire du viol un non crime encouragerait des victimes brisées à sortir de leur silence ?

Quel est l’impact de cette correctionnalisation sur l’inconscient collectif ?

Comment la société pourrait-elle prendre conscience des dégâts considérables provoqués par les viols lorsque

ces viols sont minimisés, décriminaliser par la justice et le législateur ?

Le viol est-il encore un crime quand dans 50 à 70% des cas il est correctionnalisé ?

La correctionnalisation est un viol de la Loi, pourtant le législateur a consacré l’illégalité de ce qui n’était qu’une

vilaine tradition judiciaire

II – LA CORRECTIONNALISATION : DE LA PRATIQUE JUDICIAIRE A LA CONSÉCRATION

LÉGISLATIVE

Avant d’être consacrée par le législateur, la pratique de la correctionnalisation a été condamnée à plusieurs

reprises [5] par la chambre criminelle (A) : c’est probablement ces condamnations qui sont à l’origine de la Loi

Perben II (B)

A – LA CORRECTIONNALISATION AVANT SA CONSÉCRATION PAR LE LÉGISLATEUR

Pour que la procédure de correctionnalisation puisse aboutir il faut le consentement de toutes les parties, victime,

ministère public et auteur.

L’auteur ? Comment pourrait-il ne pas consentir alors que la correctionnalisation est tout à son avantage ? A

l’évidence le criminel préférera toujours descendre au niveau de délinquant avec la peine elle aussi toujours plus

faible. De criminel, il devient délinquant. En tant que criminel il risque 15 ans de prison. Comme délinquant, il

en risque [5].

Chaque partie peut soulever l’incompétence du Tribunal correctionnel (le crime étant de la compétence de la

Cour d’Assises) le Tribunal Correctionnel peut relever cette incompétence d’office (anc. art.469 CPP) :

Si le fait déféré au tribunal correctionnel sous la qualification de délit est de nature à entraîner une peine

criminelle, le tribunal renvoie le ministère public à se pourvoir ainsi qu’il avisera.

En réalité, l’incompétence du Tribunal Correctionnel a été peu soulevée (mais assez pour faire réagir le

législateur ?)

La victime devait sans doute même ignorer cette possibilité. Moi je l’ignorais. Quant à l’auteur, il n’y avait

aucun intérêt. Autant dire que le message envoyé à l’auteur du viol est digne d’un pardon judiciaire.

Cette correctionnalisation est pourtant contraire aux règles de procédures pénales. Une atteinte à la compétence

des juridictions en vertu de laquelle, les crimes sont jugés exclusivement par les Cours d’Assises, les délits par

les Tribunaux Correctionnels et les contraventions par les Tribunaux de Police. Cette règle de compétence

matérielle des juridictions est d’ordre public [5].

Illustration par une décision de la Chambre criminelle :

Doit être cassé l’arrêt de la cour d’appel qui, pour les déclarer coupables d’agressions sexuelles, relève

que les prévenus ont sodomisé la victime et se sont fait pratiquer des fellations par elle, de tels faits

constituent des pénétrations sexuelles et se trouvent justiciables de la cour d’assises.

Des faits criminels renvoyés devant le tribunal correctionnel ! Il y a eu pénétration « sodomie » et « fellations »,

des faits constitutifs du crime de viol, seule la Cour d’Assise est compétente pour juger des crimes. Ici, la

chambre criminelle a eu l’occasion de se prononcer sur l’illégalité de la pratique. Mais combien de viols ont

échappés à la qualification de crime ? Combien de victimes se sont vues nier dans leurs droits pour

désencombrer les Cours d’Assises.

Combien de temps encore va-t-on traiter le viol comme un crime mineur quand il n’est pas simplement déclassé

au rang de délit ?

Les viols disqualifiés en agressions sexuelles ne feront jamais parties des statistiques « viols ». Les chiffres sont

faussés :

• 10 % seulement des victimes de viol portent plainte

• 3% feraient l’objet d’un procès (procès en Cour d’Assises seulement)

• 1% seulement font l’objet d’une condamnation.

Ici encore il s’agit de 1% de condamnation en Cour d’Assises. On ne peut parler de viols disqualifiés puisque

statistiquement ils font partie du délit d’agressions sexuelles et non du crime de viol ! Les victimes qui ont soidisant

acceptées la correctionnalisation savent-elles qu’elles sont niées jusqu’à être hors statistiques ?

Et, si les viols n’étaient plus correctionnalisés ?

[…] on retient l’estimation basse de 50% des viols correctionnalisés.

Les viols correspondant à la moitié des affaires jugées aux assises, l’activité des cours d’Assises devrait

donc être augmentée de 50% [6]

Le législateur en a décidé autrement : une correctionnalisation, une négation de crime pour de basses raisons

budgétaires ; une correctionnalisation contraire aux principes fondamentaux du droit.

B – UNE PRATIQUE ILLÉGALE VALIDÉE PAR LA LOI (CONTRA LEGEM)

La correctionnalisation ne porte pas seulement atteinte à la compétence matérielle des juridictions pénales. Elle

est aussi contraire au principe d’égalité devant la Loi. Rappelons que le principe d’égalité devant la loi i figure

à l’article 6 de la Déclaration Universelle des Droits de l’homme. Le Conseil Constitutionnel l’a consacré dès

1975 en affirmant que le principe d’égalité de tous les individus devant la justice possède une valeur

constitutionnelle. Une violation dénoncée par le Professeur Rebut :

il y a là une situation qui est résolument contraire au principe d’égalité des justiciables devant la

justice. On sait certes que celui-ci peut souffrir des exceptions. Mais celles-ci ne doivent pas procéder

de discriminations injustifiées. On peut préciser que c’est le cas pour la correctionnalisation dont la

mise en oeuvre dépend pour beaucoup de circonstances fortuites relatives au nombre d’affaires

renvoyées devant la cour d’assises ». [3]

Dès lors nous aurons plus de violeurs (et de victimes de viol) à Trifouilly-les-Oies qu’à Paris. L’exception dont

parle Monsieur le professeur Rebut n’en est effectivement plus une lorsqu’il s’agit de la correctionnalisation

appliquée au viol. L’exception aujourd’hui c’est le viol non correctionnalisé, non disqualifié en délit.

L’exception c’est le viol condamné en tant que crime. Sachant qu’il y a environ 10% de plaintes pour viol (75

000 par an) et 1 à 2% des viols condamnés (Cour d’Assises). Y’ aurait-il 8% de correctionnalisation ?

Selon V. Goaziou et L. Mucchielli :

Du côté des statistiques administratives, l’on relève une multiplication par cinq des faits de viol (ou

tentative de viol) constatés par les services de police ou de gendarmerie en l’espace de 40 ans : dans les

années 1970, autour de 1 500 viols par an sont enregistrés alors que l’on atteint aujourd’hui la barre

des 10 000. Enfin, les statistiques judiciaires montrent une nette augmentation du nombre de personnes

condamnées pour viol entre les années 1980 et aujourd’hui, ainsi qu’une sévérité accrue de la justice :

de 1984 à 2008, la part des peines de 10 à 20 ans de prison pour les auteurs de viols a crû de 16 à 40 %

[7]

Serait-ce cette « inflation » des plaintes pour viol qui a décidé le législateur à légaliser une procédure contraire à

tous les principes généraux de notre droit ? En effet, la Loi Perben II du 9 mars 2004 a quasiment permis la

légalisation de la correctionnalisation des crimes en délit. Elle fixe des conditions qui limitent les droits des

victimes à faire appel de la décision de renvoi :

La personne mise en examen et la partie civile peuvent interjeter appel des ordonnances prévues par le

premier alinéa de l’article 179 dans le seul cas où elles estiment que les faits renvoyés devant le

tribunal correctionnel constituent un crime qui aurait dû faire l’objet d’une ordonnance de mise en

accusation devant la cour d’assises.

Autrement dit, si la victime ne dénonce pas la disqualification pendant le temps de l’instruction, elle ne pourra

plus soulever le moyen de l’incompétence (art.186-3 CPP). C’est bien calculé, une victime de viol traumatisée et

fragile pourrait se faire convaincre assez facilement de correctionnaliser son viol surtout si son avocat le

préconise. Quelque temps plus tard elle pu se reprendre, avoir eu d’autres conseils, et quand arrive le procès elle

prend conscience qu’elle a été trompée… Trop tard ! La Loi Perben II lui interdit de faire application de son

droit à ce que le crime soit considéré comme un crime.

La loi empêche aussi le Tribunal correctionnel de relever sa propre incompétence :

Lorsqu’il est saisi par le renvoi ordonné par le juge d’instruction ou la chambre de l’instruction, le

tribunal correctionnel ne peut pas faire application, d’office ou à la demande des parties, des

dispositions du premier alinéa, si la victime était constituée partie civile et était assistée d’un avocat

lorsque ce renvoi a été ordonné.

Si la victime est partie civile au procès et qu’elle a bénéficié de l’assistance d’un avocat. Le tribunal

Correctionnel ne peut soulever sa propre incompétence lorsque l’affaire lui est renvoyée par le juge

d’instruction. Alors que le Tribunal correctionnel constate que les éléments sont constitutifs d’un crime et qu’il

est par conséquent incompétent pour en juger (principe d’ordre public), il se doit d’obéir à une loi contraire à la

Loi.

Certains disent que la loi a mis un garde-fou qui serait ce fameux consentement de la victime avant toute

correctionnalisation. Sauf qu’il ne s’agit que de « l’accord au moins tacite », nous sommes loin d’un accord libre

et éclairé.

Dans le rapport (supra [1]), les membres de la Commission, pour rejeter l’allongement du délai de prescription

pour les agressions sexuelles, font particulièrement référence à la qualification tripartite des infractions

• M. Jacques Mézard « Notre droit pénal est fondé sur une hiérarchie entre crimes, délits et

contraventions »

• M. Alain Anziani « La distinction des crimes, délits et contraventions est au fondement de notre

système pénal »

• M. Nicolas Alfonsi « je suis férocement hostile à ce texte, qui porte atteinte aux principes généraux

du droit »

En effet, Monsieur Alfonsi, la correctionnalisation porte plus qu’une atteinte à la compétence des juridictions

pénales, elle viole aussi un principe à valeur constitutionnelle, cela ne semble pourtant pas vous déranger.

Le rapporteur de la Commission, le sénateur Yves Détraigne, « Notre droit pénal établit une distinction claire

entre le viol et la tentative de viol, crimes […] et les autres agressions sexuelles, délits … »

Comment ça Monsieur le sénateur ? Pensez-vous que la Loi Perben II maintienne cette distinction « claire »

entre le crime (viol) et le délit (agression sexuelle). Bien sur que non… Serions nous dans la « logique » du deux

poids, deux mesures. Rappeler les principes fondamentaux pour rejeter l’allongement de la prescription et les

oublier lorsqu’il s’agit de minimiser le viol ?

Comment peut-on permettre que la Loi viole la Loi ?

Aujourd’hui, le viol n’est un crime que par la volonté d’un magistrat. A fortiori si ce magistrat ne rencontre

aucune résistance de la part de l’avocat de la victime.

Les avocats qui soutiennent cette correctionnalisation ont une très grande responsabilité dans la minimisation du

viol. Où est passé l’avocat vu comme le dernier « rempart contre l’arbitraire » ? Il en reste quelques-uns

heureusement, on aimerait juste les entendre un peu plus.

Alors soyons clairs : les victimes ont moins besoin d’un gadget de JUDEVI (juge des victimes), de

CRPC aux Assises, d’imprécations sur fond d’arrière-pensées politiques, la main sur le coeur, « les

victimes ! Les victimes ! Un avocat à l’AJ, là, tout de suite, maintenant », que de la possibilité réelle,

matérielle et budgétaire, de voir l’auteur de leur viol passer aux Assises et pas devant un Tribunal

Correctionnel [2]

Il serait, en effet, temps de respecter les victimes de viol dans leurs souffrances qui perdureront bien longtemps

après que le violeur sera sorti de prison.

Il est temps de mettre fin à cette farce juridique

REFERENCES

[1] http://www.senat.fr/rap/l11-249/l11-249.html

[2] http://avocats.fr/space/laurent.epailly/content/a-quoi-reconnait-on-une-democratie–_2657AC69-89DC-

41C1-97A4-F6CE867B110

[3] http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20110502/lois.html#toc6

[4]http://cabinetarpej.eu/dotclear/index.php/post/2010/06/24/Correctionnalisationd%E2%80%99opportunit%C3

%A9-%3A-savoir-respecter-le-choix-de-la-victime

[5] http://fxrd.blogspirit.com/archive/2008/11/13/la-correctionnalisation-judiciaire.html

[6] http://mobile.agoravox.fr/actualites/societe/article/le-deni-de-la-violence-sexuelle-en-101699

[7] http://www.criminologie.com/article/viol